Le débat sur le bouclier fiscal est relancé. En faisant abstraction de toute notion de justice sociale ou de respect de la valeur du travail, l’économiste américain Arthur Laffer a étudié le niveau d’efficacité de cet impôt.
Depuis le second tour des régionales, le débat sur le bouclier fiscal revient sur le devant de la scène. De plus en plus de députés, y compris au sein même de la majorité, réclament sa suppression. L’état catastrophique des finances publiques fait de ce cadeau aux plus riches un symbole d’injustice. Son inefficacité est également pointée du doigt, car il n’aurait pas permis de faire revenir les évadés fiscaux. Cependant, le bouclier fiscal a aussi ses défenseurs. Ainsi, sa logique correspond bien à l’idée que se faisait l’économiste Arthur Laffer de l’efficacité de l’impôt. Il est l’auteur de la célèbre maxime “Trop d’impôt tue l’impôt”. Selon lui, les augmentations de taxes ne seraient pas toujours efficaces sur le plan économique.
Avant tout, Laffer se place sous un angle de vue très différent de celui qu’ont l’habitude d’utiliser les théoriciens opposés à l’intervention de l’Etat. Avant lui, de nombreux économistes (les penseurs classiques) avaient stigmatisé les effets d’une hausse des taxes sur la production et la consommation. Leurs opposants interventionnistes (principalement les keynésiens) les avaient donc combattus sur le registre de la croissance. Ces derniers avaient remporté la bataille en arguant que la redistribution augmentait la consommation et limitait l’épargne, jugée inutile par les keynésiens. La taxation des plus riches permet d’alimenter le budget de l’Etat, qui peut ensuite redistribuer cet argent à des populations aux revenus plus faibles, qui s’empresseront de le dépenser, donc de faire tourner l’économie. Laffer, lui, s’attaque aux hausses d’impôt en se focalisant sur les effets qu’elles auraient sur les finances publiques elles-mêmes.
En revanche, il part d’un postulat énoncé par ses maîtres spirituels, Jean-Baptiste Say et Adam Smith, qui estiment qu’une hausse du niveau de taxation entraîne immanquablement une perte d’incitation au travail. Si l’Etat prélève plus d’argent pour chaque heure de travail, à un certain niveau, il n’y a plus d’intérêt à exercer un emploi car le jeu n’en vaut pas la chandelle. La théorie de Laffer s’appuie donc sur le fait que les travailleurs raisonnent de la façon suivante : ils comparent la valeur de leur temps libre à celle de leurs revenus après impôt, et, à ce moment-là, ils décident d’adapter leur temps de travail en fonction de ces valeurs relatives.
Dans ces conditions, si la quantité de travail diminue, la part du gâteau que prélèvera l’Etat sera plus petite. Laffer juge en conséquence que les rentrées fiscales seront susceptibles de diminuer si on augmente les impôts. Par exemple, Mme Michu est taxée à hauteur de 33%. A ce niveau, elle travaille pour gagner 6 000 euros par mois. Elle paiera donc, dans notre exemple, 2 000 euros d’impôt. Si les taxes passent à 50%, Mme Michu jugera que tant d’efforts pour financer l’Etat ne sont pas nécessaires et réduira son activité, afin de ne plus percevoir que 3 000 euros en travaillant à mi-temps. Elle ne devra alors plus s’acquitter que de 1 500 euros d’impôt, d’où un manque à gagner de 500 euros pour les finances publiques. Pour Laffer, cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille réduire les impôts le plus possible. Il juge qu’il existe un niveau optimal de fiscalité à partir duquel les recettes fiscales seraient maximisées, sans que le travail ne soit trop pénalisé.
Pour les keynésiens, les conclusions de Laffer sont trop hâtives. Ils estiment en effet que l’a-priori de départ de sa théorie est faux. Selon eux, avancer qu’une hausse des impôts incite à moins travailler est une idée erronée. Les adeptes de la régulation économique par l’Etat pensent que les citoyens travaillent afin d’accéder à un certain niveau de vie.
Selon cette logique, si on augmente les taxes, donc si on réduit les salaires après impôt, les agents économiques voudront travailler davantage pour compenser cette baisse de leur niveau de vie. Ainsi, une hausse des impôts pourrait même avoir un effet positif sur la croissance et les finances publiques.
Première faille dans ces deux théories, elles partent du principe commun que la quantité de travail relève seulement du choix du travailleur. Si c’est peut-être le cas en période de plein-emploi, avec les niveaux de chômage et de temps partiel subis que nous connaissons, les possibilités d’augmenter son temps de travail sont réduites.
D’un autre point de vue, réduire la durée du travail pour fuir l’impôt n’est pas non plus aussi simple qu’on pourrait l’imaginer, car il faut bien boucler les budgets de fin de mois. Surtout, la théorie de Laffer ne peut s’appliquer que dans une économie fermée. Or, dans notre économie globalisée, la concurrence des différentes fiscalités est désormais le premier critère de l’efficacité du niveau d’impôt.